Une bonne idée au mauvais moment? Notre analyse du budget du Québec 2023

Canadian Economics

By: CBoC Economics Team

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Le gouvernement du Québec a présenté mardi son budget 2023, qui prévoit des réductions d’impôt et des dépenses supplémentaires à un moment où l’inflation soulève encore des inquiétudes. Le gouvernement a versé de généreux paiements en espèces à deux reprises déjà pour aider à compenser les effets de l’inflation élevée sur les ménages – la dernière mesure prébudgétaire, mise en œuvre en décembre dernier, a permis de remettre immédiatement 3,5 G$ entre les mains des contribuables. Ces paiements, auxquels s’ajoutent d’autres mesures mises en œuvre dans le cadre du « Bouclier anti-inflation », s’élèveront à 13 G$ sur six ans. Quelques mois plus tard, le budget 2023 annonce des réductions d’impôts qui coûteront 9,2 G$ supplémentaires (de 2022-2023 à 2027-2028). Par ailleurs, bien qu’elles viendront bonifier de façon conséquente le revenu des ménages, ces réductions risquent d’accentuer les pressions inflationnistes – ou à tout le moins de compliquer la tâche de la Banque du Canada dans sa lutte contre l’inflation.

S’il ne fait aucun doute que de nombreux Québécois à faible revenu ressentent les effets de l’inflation élevée, le Québec est la province où le marché du travail est le plus tendu. Au cours des premiers mois de 2023, le taux de chômage moyen s’est établi à 4,0 %, ce qui est de loin le taux le plus bas au pays, et pourrait entraîner une inflation des salaires plus forte que dans les autres provinces. Les gains salariaux moyens au Québec ont dépassé la moyenne nationale en 2022 de près d’un point de pourcentage. S’il s’agit d’une bonne nouvelle pour les ménages, on peut craindre qu’une forte inflation salariale ne complique les efforts visant à réduire l’inflation dans la province.

En plus des réductions d’impôt, le budget 2023 prévoit des dépenses supplémentaires principalement pour la santé, mais aussi pour les infrastructures, l’environnement et la productivité, ce qui représente 12,4 G$ supplémentaires sur la période de planification de six ans du budget.

Dans l’ensemble, le dernier budget du Québec opte pour une approche équilibrée des finances publiques. L’économie du Québec a affiché une solide performance au cours des années ayant précédé la pandémie, ce qui a permis au gouvernement provincial de dégager des excédents, de rembourser la dette et même de commencer à constituer le Fonds des générations. Le gouvernement avait comme objectif de redonner un jour ce dividende budgétaire aux ménages québécois en réduisant les impôts relativement élevés de la province. C’est maintenant chose faite avec le budget 2023, même si la hausse permanente des coûts économiques et budgétaires engendrés par la pandémie remet en cause le moment choisi pour procéder à ces baisses d’impôt.

Report du remboursement de la dette

Dans son dernier budget, le Québec a augmenté ses dépenses à court terme, mais a continué à faire preuve de prudence à long terme. Dans sa dernière mise à jour de l’automne 2022, le gouvernement du Québec s’attendait à dégager un excédent (avant versements au Fonds des générations) dès l’exercice 2023-2024 et tout au long de sa période de planification budgétaire, soit jusqu’en 2026-2027. Ce plan ne tient plus la route. Les réductions d’impôt devraient amputer les recettes de 9,2 G$ d’ici 2027-2028, ce qui, jumelé à des perspectives économiques moins favorables, maintiendra la province en territoire déficitaire jusqu’à l’exercice 2026-2027, bien que ce déficit comprenne plus d’un milliard de dollars chaque année à titre de réserve de stabilisation.

Bien souvent, les gouvernements se servent des baisses d’impôt pour réduire la taille de l’État, ce qui n’est pas le cas cette fois. La province a commencé à réduire sa dette nette grâce à des versements au Fonds des générations, mais l’objectif est de faire en sorte que les allègements fiscaux contribuent surtout à ralentir le rythme auquel le Québec remboursera sa lourde dette. Il s’agit d’un important changement de politique, la province cherchant maintenant à atteindre ses objectifs de réduction de la dette en 15 ans, plutôt qu’en 10 ans comme c’était d’abord prévu. En fait, la province s’apprête à proposer des modifications à sa stratégie de gestion de la dette afin de permettre au gouvernement de mieux faire face aux chocs économiques.

Le gouvernement prévoit également d’augmenter les dépenses au cours des prochaines années. Dans sa mise à jour de l’automne, la province prévoyait des dépenses de programmes de 134 G$ pour l’exercice 2023-2024, un chiffre qui a grimpé à plus de 138 G$ dans le dernier budget. La croissance des dépenses devrait être en moyenne de 2,1 % par an entre l’exercice 2023-2024 et l’exercice 2027-2028. Une grande partie de ces dépenses ira aux soins de santé, mais également à d’autres initiatives annoncées dans le budget.

Si les finances de la province écopent à court terme, la planification budgétaire à long terme témoigne d’une gestion responsable des finances publiques. La croissance des recettes devrait être en moyenne de 3,2 % entre 2024-2025 et 2027-2028 et dépasser la croissance des dépenses de 2,5 % au cours de cette même période, ce qui signifie que la province dégagera des excédents structurels pendant plusieurs de ces exercices budgétaires – même en comptant des versements de plus d’un milliard de dollars chaque année dans une réserve de stabilisation (voir le graphique 1).

Graphique 1

Des attentes à la hausse
(prévisions de dépenses et de revenus, en milliards de dollars)

Budget 2022 Mise à jour de l’automne 2022 Budget 2023 Dépenses * Revenus 2021−22 22−23e 23−24p 24−25p 25−26p 26−27p 27−28p 2021−22 22−23e 23−24p 24−25p 25−26p 26−27p 27−28p 120 130 140 150 160 170

* y compris la provision pour risque
e = estimé
p = prévision
Source : Finances Québec.

Tout compte fait, les finances de la province devraient être très saines d’ici à l’exercice 2025-2026, moment où le solde budgétaire de la province retournera en territoire positif (en incluant les versements à la réserve de stabilisation, mais à l’exclusion des versements au Fonds des générations). Si l’on tient compte des versements au Fonds des générations, il faudra attendre l’exercice 2027-2028 pour que la province dégage enfin un excédent budgétaire.

Le nouveau plan de gestion est un facteur de vulnérabilité budgétaire

Soulignons que ces prévisions financières reposent toutes sur l’hypothèse de la province qui prévoit une croissance économique de 0,6 % en 2023 et de 1,4 % en 2024. Selon nos propres prévisions, l’économie du Québec devrait croître de 0,2 % en 2023 et de 2,0 % en 2024, soit une croissance totale légèrement plus forte que celle anticipée par la province. Compte tenu des dépenses prévues au budget, nous estimons que le portrait des finances de la province pourrait être plus reluisant que ce qu’annonce le budget, en particulier à court terme – malgré la présence d’une multitude de risques qui pèseront sur l’économie.

L’allongement de la période de réduction de la dette et la modification proposée à la Loi sur l’équilibre budgétaire, qui affaibliraient l’engagement du gouvernement à l’égard d’une réduction rapide de la dette, constituent les principales préoccupations entourant ce budget. Les versements prévus au Fonds des générations sont inférieurs aux estimations précédentes contenues dans la mise à jour budgétaire, ce qui maintiendra les charges de la dette plus élevées pendant plus longtemps et rendra le plan de réduction de la dette de la province plus sensible à toute détérioration de ses performances économiques – et ce ne sont pas les risques économiques qui manquent aujourd’hui (voir le graphique 2).

Graphique 2

Des chemins qui se croisent : L’endettement du Québec et de l’Ontario
(dette nette/PIB, %)

Québec Ontario 2008−09 22−23e 27−28p 11−12 09−10 16−17 21−22 18−19 20−21 13−14 15−16 23−24p 26−27p 25−26p 24−25p 10−11 14−15 12−13 19−20 17−18 0 10 20 30 40 50 60

e = estimé
p = prévision
Sources: Ontario Finance; Finances Québec.

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