Le point d’ancrage économique du Canada à la dérive : Notre analyse de l’Énoncé économique de l’automne 2024
Key insights
- Le gouvernement fédéral prévoit un déficit de 48,3 milliards de dollars pour l’exercice 2025, soit 9,5 milliards de dollars de plus que dans le budget de 2024. Les déficits prévus au-delà de cette période sont également plus élevés que ce qui était projeté dans le budget, ce qui représente une perte supplémentaire de 23,3 milliards de dollars sur six ans.
- En outre, le gouvernement a enregistré une révision à la baisse de 21,8 milliards de dollars du déficit pour l’exercice 2023-2024 en raison des passifs éventuels au titre des revendications autochtones et aux pertes liées à la pandémie.
- La situation budgétaire pourrait s’améliorer dans la seconde moitié de la décennie. L’incertitude entourant la politique américaine et les récentes réductions des cibles d’immigration laissent toutefois planer un doute sur les projections à court terme.
- Les nouvelles dépenses de programmes ont été pour la plupart limitées, l’annonce la plus importante étant celle d’un montant de 17,4 milliards de dollars au titre de l’Incitatif à l’investissement accéléré, qui est une mesure d’incitation à l’investissement des entreprises très bien accueillie.
- Le gouvernement a également chiffré à 1,6 milliard de dollars les coûts liés aux au congé de TPS/TVH d’une durée de deux mois.
- L’annonce de nouvelles dépenses pour renforcer la sécurité à la frontière était nécessaire pour répondre aux menaces tarifaires de la future administration américaine. Toutefois, dans les faits, le Canada aura du mal à atteindre la cible de 2 % fixée par l’OTAN.
Des cibles mouvantes perturbent les initiatives gouvernementales
La plus récente mise à jour budgétaire montre que les libéraux ont toujours du mal à respecter leurs plans budgétaires et que le déficit à long terme s’aggrave. La capacité fiscale du gouvernement fédéral s’est détériorée depuis le budget de 2024, présenté en avril dernier. Selon l’Énoncé économique de l’automne (EEA) 2024, les prévisions de recettes du gouvernement demeurent largement inchangées par rapport à celles du budget de 2024, mais les mesures de dépenses supplémentaires s’élèvent à un montant cumulatif de 23,3 milliards de dollars sur l’horizon de projection de six ans.
Le déficit pour l’exercice 2023-2024 a été révisé, passant de 40 à 61,9 milliards de dollars, le gouvernement s’attendant à enregistrer des dépenses d’un montant total de 16,4 milliards de dollars liés aux passifs éventuels au titre des revendications autochtones et de 4,7 milliards de dollars liés à la pandémie de COVID-19.
Au cours de la période de prévision, le gouvernement fédéral ne parviendra pas à atteindre les cibles budgétaires énoncées dans le budget de 2024. Le déficit budgétaire s’élève maintenant à 48,3 milliards de dollars pour l’exercice 2024-2025, à 42,2 milliards de dollars pour 2025-2026 et ce n’est qu’en 2026-2027 que le gouvernement prévoit de ramener le déficit en dessous de la barre du 1 % du PIB nominal. D’ici à l’exercice 2029-2030, le déficit budgétaire devrait être ramené à 23 milliards de dollars. Néanmoins, le point d’ancrage budgétaire du gouvernement, le ratio de la dette au PIB, reste étroitement aligné sur les estimations du budget de 2024, en raison de prévisions économiques plus favorables pour le PIB nominal.
Graphique 1
La progression des recettes et des dépenses
(milliards de dollars)
Sources : Le Conference Board du Canada ; Finances Canada.
Les nouvelles dépenses s’élèveront à environ 22,4 milliards de dollars supplémentaires au cours des six prochains exercices, des sommes plus importantes étant allouées au congé de taxe sur les produits et services (TPS), au rétablissement du crédit d’impôt pour l’investissement accéléré et à l’augmentation des dépenses destinées à protéger la frontière. La mise à jour budgétaire révèle une hausse des projections de recettes, dont une faible part seulement provient des recettes fiscales. En effet, les recettes non fiscales, telles que les recettes liées aux paiements d’intérêts, expliquent en majeure partie cette augmentation. Bien que l’impôt sur le revenu sera moins élevé d’environ 700 millions de dollars par an en moyenne sur la période 2024-2025 à 2028-2029 (en raison de la baisse des bénéfices des sociétés), les recettes tirées des cotisations à l’assurance-emploi devraient être plus élevées durant la période de projection, en raison de l’augmentation de la population active et de la hausse des salaires. Par ailleurs, si la réduction de l’immigration est susceptible d’atténuer quelque peu les pressions sur le marché du logement, la baisse de l’immigration pèse toutefois sur les recettes du gouvernement.
Dans l’EEA 2024, la croissance du PIB réel pour 2024 a été plus forte que ce qui était prévu dans le budget du printemps, avec une croissance attendue de 1,3 % pour 2024. La croissance économique ralentira pour s’établir à 1,7 % en 2025, conformément à nos perspectives économiques de l’automne 2024. La croissance économique devrait s’accélérer pour atteindre environ 2 à 2,1 % par an durant le reste de l’horizon de planification jusqu’en 2029-2030.
Si les prévisions de l’EEA 2024 pour l’économie canadienne apparaissent raisonnables, le pays est néanmoins confronté à des risques économiques plus importants que d’habitude. L’environnement économique est assombri par l’incertitude, en particulier au chapitre des échanges commerciaux, la menace de droits de douane élevés étant susceptible de bouleverser l’ensemble de l’économie.
La productivité retient l’attention
L’essentiel des nouvelles dépenses annoncées lundi visait à accroître la productivité et l’investissement. L’une des mesures clés est la réintroduction de l’Incitatif à l’investissement accéléré. Ce crédit permet d’amortir immédiatement des investissements précis, et s’applique aux investissements en capital réalisés entre le début de 2025 et la fin de 2030. Cette mesure sera éliminée progressivement sur une période de trois ans. Le coût total du programme devrait s’élever à 17,4 milliards de dollars avant son élimination progressive. En cette période charnière marquée par une concurrence avec les États-Unis pour les investissements en capital, toute initiative visant à rendre le Canada plus attrayant est la bienvenue.
Un congé de taxe mal avisé
Selon les chiffres présentés dans l’EEA de lundi, la Loi concernant un congé fiscal pour l’ensemble des Canadiens, qui supprimera la TPS/TVH sur certains produits au cours des deux prochains mois, coûtera au gouvernement fédéral 1,6 milliard de dollars, auxquels s’ajouteront 1,1 milliard de dollars de pertes de recettes au niveau provincial, et permettra aux ménages d’économiser en moyenne environ 160 dollars. Toutefois, ce montant économisé dépend fortement du fait que la famille réside ou non dans une province dont la taxe de vente est harmonisée.
Selon nous, ce congé fiscal est mal avisé. Les salaires et les revenus se sont relativement bien maintenus en 2024, et les dépenses de consommation sont sur le point de reprendre de la vigueur dans un contexte marqué par la baisse des taux d’intérêt. En outre, nous estimons que cet allégement fiscal ne permettra pas d’accroître significativement les dépenses des ménages et nous aurions préféré que le gouvernement mette l’accent sur la réduction du déficit.
La cible de l’OTAN demeure hors d’atteinte
L’EEA 2024 propose un ensemble complet d’investissements pour protéger la frontière s’élevant à 1,3 milliard de dollars, une réponse sans équivoque aux menaces tarifaires de la future administration américaine. Si les mesures précises n’ont pas encore été communiquées, nous estimons que ces dépenses sont nécessaires, car il est impératif d’éviter une guerre commerciale. En outre, les dépenses militaires s’élèvent à environ 1,3 % du PIB, ce qui est bien inférieur à la cible de 2 % établie par l’OTAN. Même s’il s’agit d’un pas dans la bonne direction, les mesures annoncées visant à défendre la frontière ne nous rapprocheront pas tellement de la cible fixée. Cependant, à défaut de s’engager à atteindre cette cible au cours du mandat de la prochaine administration américaine, le Canada prêterait le flanc à la critique de la part des intérêts américains et verrait son pouvoir de négociation affaibli.
La politique du logement au premier plan
Même si de nombreuses politiques ont été annoncées, la mise à jour de l’automne confirme la place importante qu’occupe la politique du logement sur l’échiquier politique. Les mesures en cours comprennent l’ajout d’un compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété, diverses politiques visant à simplifier la construction de logements pour les constructeurs, le Fonds canadien pour les infrastructures liées au logement et des politiques visant à rendre les paiements hypothécaires et l’entrée sur le marché moins coûteux grâce à des exigences moins strictes en matière de versement initial et à la possibilité d’amortir une hypothèque sur 30 ans.
Les changements apportés aux cibles d’immigration avant la publication de l’EEA sont parmi les mesures ayant le plus d’impact sur l’accès à la propriété. Ces mesures auront un effet considérable sur la demande de logements, ce qui, conjugué à l’augmentation de l’offre, devrait favoriser l’accessibilité financière. Cependant, ces mesures ont un coût, et nous estimons que le ralentissement de la croissance démographique amputera le PIB réel de 16,2 milliards de dollars en 2026 et les recettes fédérales de 3,8 milliards de dollars sur une base permanente .
Beaucoup de bruit pour rien
Dans l’ensemble, si l’Énoncé économique de l’automne a été éclipsé par les événements politiques de la journée, le document lui-même ne réservait pas de grandes surprises. La hausse marquée du déficit de l’année dernière a sans aucun doute été l’une de ces surprises, mais l’impact est temporaire et n’a que peu d’incidence sur les initiatives de dépenses plus générales. La situation budgétaire à long terme est similaire à celle prévue dans le budget de 2024, bien que l’ampleur des déficits toujours plus importante d’un document de planification à l’autre dénote une fâcheuse tendance.
Le budget contient plusieurs mesures favorables en ce qui concerne les principaux défis stratégiques auxquels le Canada sera confronté dans ses liens avec les États-Unis. Le rétablissement du crédit d’impôt à l’investissement, accueilli avec satisfaction, devrait aider à redresser les piètres rendements du Canada au chapitre de l’investissement des entreprises, même si la future administration américaine fait tout ce qu’elle peut pour réorienter les investissements vers le sud de la frontière. D’autres enjeux d’importance n’ont pas été abordés, notamment l’absence de plan pour atteindre rapidement l’objectif de 2 % fixé par l’OTAN, ce qui pourrait éventuellement servir de monnaie d’échange lorsque Trump reprendra ses fonctions, d’autant plus que le Canada fera partie d’un groupe de plus en plus restreint de pays contrevenants.
Ce budget suscite des inquiétudes que nous soulevons depuis un certain temps. Au cours des deux dernières années, le gouvernement fédéral s’est éloigné d’un plan de retour à l’équilibre budgétaire à un moment où l’économie tournait presque à plein régime et où l’inflation augmentait les recettes. Nous entrons maintenant dans une phase de faible croissance économique, de concurrence accrue avec les États-Unis pour l’investissement des entreprises et de conjoncture difficile des échanges internationaux. Des années de déficits, y compris les déficits prévus pour les six prochaines années, offriront peu de marge au gouvernement pour qu’il puisse s’adapter aux défis et aux risques liés à l’évolution rapide de l’environnement économique mondial.
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