Mise à jour budgétaire du Québec : comme ci, comme ça – Trop ou trop peu, les opinions divergent
Principales conclusions
- Le déficit du Québec en 2024-2025 devrait s’élever à 11 milliards de dollars, conformément aux prévisions contenues dans le budget de 2024.
- Les perspectives financières de la province se sont améliorées au cours des six derniers mois, mais on ne prévoit pas de retour à l’équilibre dans les 10 prochaines années.
- En raison des tendances démographiques à la baisse, l’assiette fiscale de la province rapetissera fortement. Les nouvelles politiques fédérales et provinciales qui visent à réduire le nombre déjà peu élevé de nouveaux arrivants dans la province ne feront qu’aggraver la situation.
- La province compte sur des investissements importants pour stimuler les bénéfices des sociétés et créer de nouveaux emplois. Cependant, le contexte économique semble de plus en plus incertain.
Un portrait plus favorable, mais plus risqué également
Hier, le gouvernement du Québec a dévoilé sa mise à jour économique et financière de mi-année, révélant une meilleure situation budgétaire que ce qui était attendu dans le budget de 2024. Cette amélioration est due en grande partie à la hausse des recettes fiscales provenant des sociétés, l’économie de la province ayant dépassé les attentes à cet égard cette année (voir le graphique 1).
Cependant, la situation budgétaire du Québec reste l’une des plus préoccupantes de toutes les provinces. Le gouvernement prévoit toujours un déficit de 11 milliards de dollars pour l’exercice 2024-2025. Si la hausse des recettes permettra, au cours des cinq prochaines années, de réduire davantage le déficit par rapport aux prévisions antérieures, les perspectives financières du gouvernement tablent sur une croissance économique de 1,5 % en 2025, ce qui est supérieur à nos prévisions. Par ailleurs, plusieurs risques pèsent sur ces perspectives, notamment un marché du travail tendu et des incertitudes entourant la politique commerciale américaine.
Graphique 1
Un portrait un peu plus encourageant
(G$)
Sources : Le Conference Board du Canada; Ministère des Finances du Québec.
Expansion et ralentissement
Le gouvernement du Québec prévoit une croissance du PIB réel de 1,2 % en 2024, ce qui est nettement plus élevé que les 0,6 % initialement prévus dans le budget de 2024. Cette révision à la hausse s’explique par une performance plus solide que prévu au cours du premier semestre de l’année, portée principalement par la vigueur des dépenses des ménages. Dans nos plus récentes prévisions provinciales, nous estimons que la croissance du PIB réel du Québec sera de 1,0 % en 2024.
Le gouvernement prévoit une croissance économique de 1,5 % en 2025, soit un peu plus que notre prévision de 1,0 %. Selon la mise à jour budgétaire, les dépenses des ménages, stimulées par d’autres baisses de taux d’intérêt à venir, continueront d’être les moteurs de la croissance en 2025. L’investissement non résidentiel devrait également gagner en vigueur, porté par l’intensification des activités de construction de plusieurs projets dans les secteurs des batteries et de l’exploitation minière. En outre, les exportations devraient se redresser au même rythme que l’économie mondiale.
Ces facteurs sont également les principaux moteurs de nos perspectives. Nous sommes cependant moins optimistes que la province en ce qui concerne l’investissement des entreprises et nous portons un regard différent sur la situation démographique et sur les marchés du travail. Alors que le gouvernement du Québec prévoit un assouplissement continu du marché du travail en 2025, avec un taux de chômage grimpant à 5,8 %, nous prévoyons un taux plus faible de 5,2 %.
Par ailleurs, bien que nous anticipions une augmentation similaire de l’emploi, nous prévoyons qu’un fort ralentissement de la croissance démographique limitera la croissance de la population active à seulement 0,2 %. Cette situation, combinée à la baisse du taux d’activité, forcera les employeurs à embaucher des personnes sans emploi, ce qui, du même souffle, entraînera une baisse du taux de chômage. Cette tendance devrait se poursuivre à moyen terme, en particulier lorsque les départs à la retraite s’intensifieront à l’approche de 2030.
Comme nos prévisions pour l’économie du Québec sont prudentes, nous dressons un portrait plus modeste des finances de la province que celui présenté dans l’énoncé économique d’hier. Et puisque ses propres perspectives budgétaires étaient déjà très sombres, le gouvernement du Québec risque de se trouver dans une situation délicate au cours des prochaines années.
Que faire de deux milliards de dollars?
La position financière de la province étant un peu moins sombre qu’il y a six mois, le gouvernement a annoncé 2,1 milliards de dollars de dépenses supplémentaires. Les nouvelles dépenses visent quelques domaines précis de l’économie. L’investissement le plus important, soit 880 M$, a pour but de maintenir le niveau de service actuel du réseau de transport en commun. Outre cet investissement, les dépenses supplémentaires sont assez modestes.
L’abolition du crédit d’impôt pour une cohorte clé de travailleurs : une mesure contre-productive
Le gouvernement a annoncé quelques changements à son régime fiscal, dont une décision importante : le relèvement, de 60 à 65 ans, de l’âge d’admissibilité au crédit d’impôt pour prolongation de carrière. Nous craignons que ce changement n’arrive à un bien mauvais moment pour la province, où le marché du travail est parmi les plus tendus au pays. Comme l’âge médian au Québec est supérieur de deux ans à la moyenne nationale et que le taux d’immigration est le plus faible de toutes les provinces, la suppression du crédit d’impôt pour les 60 à 64 ans découragera les travailleurs de ce groupe d’âge, ce qui aggravera la situation. Ce changement est particulièrement préoccupant compte tenu de l’ancienneté des travailleurs dans les professions aux prises avec de graves pénuries de main-d’œuvre, comme les métiers de la construction, où le maintien en poste d’employés d’expérience est essentiel.
L’abolition de ce crédit d’impôt pour les travailleurs qui seront bientôt des aînés intervient également à un moment où la taille de la population active de la province est sur le point de connaître un recul. Après avoir enregistré des gains démographiques records au cours des deux dernières années, la population du Québec devrait stagner en raison de la réduction abrupte des cibles d’immigration nationales du gouvernement fédéral à partir de 2025 et de la décision du gouvernement du Québec de mettre sur pause de nombreux programmes qui admettent des résidents permanents et non permanents dans la province.
Le ralentissement de la croissance démographique exercera une pression supplémentaire à la baisse sur l’économie et l’assiette fiscale de la province, au moment même où de nombreux baby-boomers quittent la population active. Cette évolution démographique devrait entraîner une augmentation de la demande de soins de santé, ce qui aggravera les problèmes budgétaires auxquels la province est confrontée.
Perspectives d’investissement ensoleillées, avec risque d’orages
Comme c’est le cas des autres provinces, les perspectives économiques et budgétaires du Québec sont largement tributaires de la politique commerciale des États-Unis. Le président élu Donald Trump a mentionné à maintes reprises son intention d’imposer des tarifs douaniers de 10 % ou plus sur toutes les importations aux États-Unis. Nous croyons que cette rhétorique relève davantage d’une tactique de négociation que d’une intention réelle. Néanmoins, de nouveaux tarifs douaniers pourraient toucher plusieurs secteurs importants de l’économie du Québec, comme la foresterie et l’aluminium. La politique des États-Unis concernant les véhicules zéro émission (VZE) et les pièces est elle aussi aléatoire et pourrait faire dérailler les projets de la province visant à développer l’industrie des batteries des VZE.
Les perspectives du gouvernement du Québec, qui entrevoient une amélioration des finances de la province, reposent sur l’hypothèse d’une augmentation sensible de l’investissement non résidentiel, ce qui nous semble correct dans l’ensemble. Cependant, il importe de souligner les risques qui planent sur le secteur de l’investissement de la province. La construction par Northvolt d’une usine de fabrication de batteries, évaluée à 7 milliards de dollars, compte parmi les plus grands projets d’investissement de la province. Cependant, plus tôt cette semaine, l’entreprise s’est placée sous la protection de la loi sur les faillites aux États-Unis, ce qui sème le doute sur la poursuite du projet. L’entreprise a déclaré que sa filiale canadienne bénéficiait d’un financement distinct et que l’usine de batteries ne serait pas touchée. Cela dit, les inquiétudes croissantes à l’égard du marché des VZE font planer des doutes sur les projets actuels.
L’annulation du projet d’usine de Northvolt réduirait considérablement les perspectives d’investissement de la province et entraînerait des répercussions à long terme sur l’économie du Québec. En outre, les craintes concernant le marché des VZE pourraient nuire à la demande de minéraux de la province, comme l’aluminium, ce qui jetterait une ombre de plus au tableau de nos prévisions.
Viser plus haut en matière de logement
Le gouvernement du Québec prévoit un nombre élevé de mises en chantier l’an prochain et à moyen terme, vu la baisse des coûts d’emprunt et le dynamisme engendré par la forte croissance démographique en 2023-2024. Dans sa mise à jour budgétaire, le gouvernement a annoncé un nouvel investissement de 208 M$ pour améliorer l’accès au logement. Toutefois, l’écart entre l’offre et la demande de logements s’étant considérablement creusé ces dernières années, ce programme aura sans doute un effet timide sur la pénurie de logements. Pour inverser la tendance, il faudra consentir d’importants investissements. En outre, les récentes politiques non financières visant à réduire la bureaucratie, et une immigration plus faible à court terme, sont susceptibles de produire des résultats plus significatifs dans la lutte contre la crise du logement.
Le Québec fait du surplace
En résumé, la mise à jour économique et financière semestrielle du gouvernement du Québec fait état d’une légère amélioration des finances de la province, portée par une croissance économique plus forte que ce qui était prévu au printemps. Le gouvernement a réagi en annonçant des dépenses supplémentaires de 2,1 milliards de dollars, bien que les nouvelles mesures, prises individuellement, soient plutôt modestes. À l’avenir, les faibles taux d’immigration et l’effet d’une population relativement âgée continueront de peser sur les finances de la province. Des augmentations solides des investissements des entreprises pourraient contribuer à atténuer certains de ces défis. Toutefois, l’environnement demeure marqué par de nombreux risques..
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