Investir dans l’avenir du Canada :Une entreprise coûteuse – Notre analyse du budget fédéral de 2025

Canadian Economics

By: CBoC Economics Team

    

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Principales conclusions

  • Réorientation stratégique vers les investissements en capital : Le budget marque un passage des programmes sociaux vers les investissements en infrastructures et en capital. Il prévoit la création du Bureau des grands projets et des incitatifs fiscaux visant à stimuler l’investissement du secteur privé et la croissance économique à long terme.
  • Stratégie de croissance financée par le déficit : Le déficit du Canada devrait doubler pour atteindre 78 G$, en raison des investissements en capital de 280 G$, dans un contexte marqué par un assombrissement des indicateurs macroéconomiques et par l’incertitude économique mondiale, en particulier l’incertitude liée aux tensions commerciales avec les États-Unis.
  • Grands projets d’infrastructure et de défense : Une enveloppe de 13 G$ est prévue pour accélérer la mise en œuvre de projets, notamment dans les secteurs du gaz naturel liquéfié, du nucléaire, de l’exploitation minière, des ports et du train à grande vitesse. Les dépenses de défense augmenteront de 82 G$ pour répondre aux critères de l’OTAN et renforcer les capacités nationales.
  • Stimuler la productivité à l’aide d’incitatifs fiscaux : De nouvelles mesures comme la superdéduction à la productivité et l’Incitatif à l’investissement accéléré permettent une déduction intégrale de 100 % pour les investissements destinés à améliorer la productivité. Ces mesures rapprochent la compétitivité fiscale du Canada des réformes récentes mises en place aux États-Unis.
  • Une attention limitée à l’accessibilité financière et aux aides sociales : Le budget prévoit des mesures modestes, notamment une réduction d’impôt pour la classe moyenne et certaines initiatives ciblées dans le domaine du logement. Cependant, les réformes plus vastes en matière d’abordabilité et de soins de santé sont largement absentes : les Transferts canadiens en matière de santé demeurent inchangés et les nouvelles dépenses relatives aux programmes sociaux restent limitées.
  • Les lacunes en matière de main-d’œuvre et de compétences largement ignorées : Le budget ne met pas suffisamment l’accent sur le développement des compétences au pays, misant plutôt sur le recrutement de talents internationaux, et ce, malgré la réduction des cibles fixées à l’égard des résidents non permanents. Cette orientation suscite des inquiétudes quant à la préparation et à la disponibilité de la main-d’œuvre appelée à participer à la mise en œuvre des grands projets d’infrastructure.

Une idée capitale

Le budget fédéral de 2025 opère un virage stratégique en mettant l’accent sur les dépenses en capital, rompant ainsi avec la priorité accordée sous l’ère Trudeau aux programmes sociaux. Cette nouvelle orientation se traduit par une série d’investissements directs pilotés par le Bureau des grands projets et soutenus par divers incitatifs fiscaux destinés à stimuler l’investissement des entreprises. Le gouvernement mise sur ce changement de cap pour attirer de nouveaux capitaux privés à l’échelle nationale, dans le but de stimuler la croissance, l’emploi et la productivité. Toutefois, ces initiatives entraînent des coûts importants, le déficit devrait doubler pour atteindre 78 G$ (soit 2,5 % du PIB) avant de reculer graduellement pour s’établir à 57 G$ (1,5 % du PIB) en 2029-2030.

Cette hausse du déficit résulte à la fois de dépenses totalisant 280 G$ sur cinq ans et d’un assombrissement marqué des perspectives économiques, accentué par des tensions commerciales persistantes avec les États-Unis qui entretiennent un climat d’incertitude. En conséquence, la dette fédérale totale augmentera, passant de 41 % à 43 % du PIB sur cinq ans.

Le Canada conserve néanmoins une position budgétaire solide par rapport aux autres économies avancées : son faible niveau d’endettement par rapport à la taille de son économie lui confère une marge de manœuvre largement suffisante pour absorber les dépenses financées par le déficit sans nuire à sa cote de crédit.

Le budget de 2025 introduit un nouveau cadre de budgétisation des investissements en capital, qui établit une distinction nette entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses en capital. Dans le budget, il est mentionné que les investissements en capital ont pour effet de stimuler les investissements publics et privés. À notre avis, ce cadre constitue surtout un instrument de communication destiné à illustrer les priorités gouvernementales, sans pour autant modifier les perspectives financières globales.

Épreuve à court terme, gain à long terme

Le gouvernement fonde sa stratégie sur un ensemble de mesures fiscales et budgétaires ambitieuses visant à stimuler l’investissement privé dans l’ensemble de l’économie et, à long terme, à soutenir la croissance des recettes publiques. Il adopte toutefois une approche prudente, en s’abstenant d’inclure dans ses prévisions les recettes additionnelles que ces mesures pourraient générer.

Le Bureau des grands projets sera le principal vecteur du déploiement des investissements en infrastructures. Ces investissements comprennent notamment la construction d’un terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) en Colombie-Britannique, le développement d’un petit réacteur nucléaire modulaire en Ontario, l’augmentation de la capacité du port de Montréal, un projet minier en Saskatchewan, un projet d’énergie éolienne en mer en Nouvelle-Écosse, ainsi que la mise en place d’une liaison ferroviaire à grande vitesse (TGV) entre Toronto et Québec. Un grand nombre de ces projets avaient déjà été annoncés, mais ils sont désormais regroupés dans une enveloppe de 13 G$ de dépenses prévues d’ici 2030.

Malgré la nouvelle priorité accordée à l’accélération des projets d’intérêt national et à l’attraction des investissements privés, la réalisation de ces initiatives demande du temps et comporte des risques importants pouvant compromettre l’aboutissement de tout grand projet d’infrastructure.

La deuxième mesure destinée à stimuler l’investissement repose sur des incitatifs fiscaux bonifiés, notamment grâce à l’amortissement accéléré des dépenses en capital pour certains secteurs et activités. La nouveauté la plus marquante est la réintroduction de l’Initiative d’investissement accéléré et de la superdéduction à la productivité, qui permettront la déduction complète (100 %) des dépenses en capital favorisant la productivité, incluant les actifs incorporels, la recherche et le développement, les équipements de fabrication et la production d’énergie propre, sur une période de trois ans.

La modification des règles d’amortissement du capital améliore la compétitivité du régime fiscal des sociétés au Canada. Cette mesure revêt une importance particulière dans la foulée de l’adoption, aux États-Unis, de la loi « One Big Beautiful Bill Act » (OBBA), qui permet la déduction intégrale des dépenses en capital dès la première année d’investissement.

Consolider la croissance

Comme on pouvait s’y attendre, le renforcement de la souveraineté et de la sécurité du Canada occupe une place centrale dans la stratégie d’investissement du budget de 2025. Celui-ci réaffirme l’engagement du Canada à hausser ses dépenses en matière de défense afin d’atteindre 2 % du PIB dès 2025, pour ensuite progresser vers la nouvelle cible de 5 % de l’OTAN d’ici 2035. Cela se traduit par de nouveaux investissements de 82 G$ sur cinq ans, un engagement majeur qui devrait générer des retombées économiques majeures pour l’économie nationale.

Grâce à la politique « Achetez canadien », le gouvernement entend renforcer les capacités de défense au pays, réduire la dépendance à l’égard des alliés de l’OTAN et accroître la sécurité nationale. Bien qu’ils soient d’une portée plus vaste que la Stratégie nationale de construction navale, ces investissements poursuivent des objectifs similaires : stimuler la création d’emplois, mobiliser les investissements privés et consolider la base industrielle du Canada.

L’économie à l’épreuve de Trump

Le budget vise à relever les défis uniques auxquels le Canada est confronté en raison de sa profonde intégration à l’économie américaine en cette période de changement rapide. Il prévoit la mise en œuvre d’une nouvelle Stratégie d’infrastructures commerciales, assortie d’un financement destiné à accroître la capacité du Canada à exporter vers les marchés à l’étranger. Nous appuyons ces investissements, qui visent à améliorer les corridors commerciaux reliant les trois côtes canadiennes, afin de faciliter l’accès des produits canadiens aux marchés internationaux.

Le budget prévoit également un soutien direct aux secteurs agricole et forestier et des programmes régionaux d’aide aux entreprises, conçus comme mesures temporaires pour atténuer les répercussions immédiates des droits de douane imposés par les États-Unis à l’économie canadienne.

L’accessibilité financière en filigrane

L’abordabilité demeure un élément clé du budget de 2025, mais les nouvelles mesures annoncées sont modestes et s’appuient en grande partie sur des initiatives annoncées antérieurement. La mesure phare est la réduction d’impôt destinée à la classe moyenne, qui permettra aux familles d’économiser quelques centaines de dollars par année dès 2026. Même si cette mesure est bien accueillie, son impact demeure modeste.

En matière de logement, le gouvernement propose des mesures ciblées, notamment l’exonération de la TPS pour les acheteurs d’une première maison. De plus, la nouvelle agence Maisons Canada a pour mandat d’accélérer la construction de logements abordables, la priorité étant accordée aux unités transitoires avec services de soutien pour lutter contre l’itinérance. Ces initiatives sont importantes, mais elles ne suffiront pas à résoudre les défis structurels liés à l’offre et à l’abordabilité du logement au Canada.

Dans l’ensemble, le budget de 2025 tend à se distancier progressivement des mesures de soutien à court terme en matière de logement abordable, au profit d’une stratégie axée sur le renforcement durable de l’économie. Dans un contexte économique difficile, cette approche plus prudente et ciblée pourrait susciter des divergences d’opinions, mais elle traduit une volonté claire de s’éloigner des mesures temporaires au profit d’investissements structurels à long terme.

La réduction de la taille du gouvernement aura des répercussions

Comme prévu, le gouvernement mise principalement sur l’amélioration de l’efficacité opérationnelle au sein de la fonction publique pour réduire les dépenses publiques. Un examen exhaustif des dépenses est prévu afin d’optimiser le fonctionnement de l’appareil gouvernemental et de réaliser des économies durables. Si une partie des réductions d’effectifs se fera par attrition, l’ampleur des compressions envisagées laisse présager des suppressions de postes plus généralisées.

Ce virage marque une rupture claire avec la période d’expansion du secteur public observée au cours des dix dernières années, rappelant les mesures de rationalisation budgétaire adoptées par le gouvernement Harper en 2012 et celui de Jean Chrétien en 1995. Dans les deux cas, les politiques de restriction des dépenses se sont traduites par la suppression de milliers d’emplois dans la fonction publique, entraînant des répercussions économiques importantes à l’échelle nationale. Les régions où l’emploi fédéral est le plus concentré, en particulier celle d’Ottawa-Gatineau, seront les plus touchées par ces réductions.

Omissions et lacunes

En mettant fortement l’accent sur le développement du capital et des infrastructures, le budget relègue l’aspect humain de l’économie à l’arrière-plan.

Le renforcement des compétences et la formation de la main-d’œuvre y sont à peine abordés. Le gouvernement mise plutôt sur le recrutement de talents étrangers, principalement par le biais de subventions à la recherche universitaire. Cette approche entre toutefois en contradiction avec la réduction de 25 % des cibles liées aux résidents non permanents, alors que les admissions de résidents permanents demeurent inchangées. Pourtant, la réalisation des grands projets d’infrastructure annoncés exigera une main-d’œuvre hautement qualifiée, qui devrait être au cœur de la stratégie globale de croissance.

Enfin, le budget ne prévoit aucun changement aux Transferts canadiens en matière de santé, les provinces se voyant confier la responsabilité de définir et de financer leurs priorités en santé. Le gouvernement fédéral dispose pourtant des leviers nécessaires pour encourager des réformes structurelles indispensables au sein du système de santé canadien, mais il n’a pas assumé ce rôle dans le cadre du présent budget. De manière plus générale, le budget constitue une occasion manquée d’utiliser les dépenses en santé comme moteur d’innovation, afin de moderniser le secteur et d’améliorer la prestation des soins à l’échelle du pays.

Résumé

Le budget de 2025 marque un changement de cap à la fois clair et positif dans les priorités gouvernementales. Il tire parti de la solide position budgétaire du Canada pour saisir les occasions découlant des bouleversements dans les relations économiques mondiales, notamment avec les États-Unis. Les nouvelles initiatives financées par le déficit vont dans la bonne direction, en misant sur la construction des infrastructures essentielles au développement du pays. Cependant, cette stratégie accorde moins d’attention à certains volets importants comme l’accessibilité financière, le développement des compétences et les mesures en santé.

Le gouvernement fédéral investit dans l’avenir économique du Canada, mais il est trop tôt pour déterminer si les coûts considérables engagés porteront leurs fruits à long terme et s’ils se traduiront par la croissance soutenue dont le pays a besoin.

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