
La valeur de l’accès
Modélisation des résultats des nouveaux traitements contre le cancer du sang
English • 27 mars 2025
Principales conclusions
- Les perturbations dans les soins du cancer au lendemain de la pandémie ont provoqué d’importants retards dans la prestation de services essentiels, tant directs (p. ex. l’imagerie, la production de rapports de pathologie, les interventions chirurgicales et les traitements) qu’indirects (p. ex. le développement de médicaments).
- Les défis pré-existants en santé, conjugués aux retards engendrés par la pandémie, sont à l’origine d’une perte potentielle de plus de 30 000 années de vie d’ici 2030, attribuable au risque accru de mortalité chez les personnes atteintes d’un lymphome hodgkinien, d’un lymphome non hodgkinien ou d’un myélome multiple.
- En éliminant les obstacles qui bloquent l’accès des patients aux traitements récemment développés ou appliqués entre 2024 et 2030, on pourrait éviter la perte d’au moins 46 480 années de vie et recouvrer quelque 765,7 millions de dollars en contributions économiques à la société, ce qui atténuerait considérablement l’incidence des chocs systémiques dus à la pandémie sur les patients cancéreux, actuels et futurs.
- Des spécialistes en hémato-oncologie ont relevé trois grands facteurs qui entravent ou influencent l’accès des patients aux traitements récemment développés ou appliqués : les retards dans l’approbation des traitements et les filières de financement, les obstacles géographiques et les problèmes de capacité dans le système de soins de santé.
- Les traitements récemment développés ou appliqués sont très prometteurs pour ce qui est de réduire la mortalité et d’accroître les contributions économiques à la société. Dans de futures évaluations, il serait bon d’inclure des paramètres de mesure de la qualité de vie afin de parvenir à une valeur plus précise de ces traitements, tant pour les patients que pour la société.
Recommandations
- Simplifier le processus d’approbation des traitements—à l’heure actuelle, les traitements prennent du temps à devenir des options thérapeutiques pour les oncologues canadiens, alors que leurs patients en ont besoin maintenant.
- Améliorer les options thérapeutiques pour les patients en zone rurale—il y a un fossé entre les services offerts en région rurale et ceux fournis en milieu urbain. Développer les technologies et l’infrastructure de santé numérique à proximité des grands établissements de soins oncologiques peut combler ce fossé et améliorer l’ensemble des résultats en matière de soins de santé.
- Renforcer les capacités de soins du cancer au Canada—notre population s’accroît et la demande de soins du cancer aussi. Notre système de soins de santé doit suivre le rythme, tant pour répondre à la demande que pour adopter les nouveaux traitements qui font leur apparition.

Un choc pour le système de soins de santé
La prestation des services de soins du cancer au pays est considérablement perturbée depuis la pandémie. Dans la présente étude, nous examinons les effets de ces répercussions postpandémiques sur les patients atteints de cancer du sang et formulons des recommandations visant à améliorer l’accès aux traitements récemment développés ou appliqués, dans le but d’atténuer ces perturbations.
Répercussions sur les services directs
Retards dans :
- le dépistage du cancer
- l’imagerie
- la production de rapports de pathologie
- le traitement du cancer (interventions chirurgicales, thérapie systémique et radiothérapie)
Répercussions sur les services indirects
Retards dans l’innovation, la production et l’offre en ce qui concerne les traitements récemment développés ou appliqués :
- suspension ou diminution du recrutement de patients pour des essais cliniques
- réduction de la participation à des essais cliniques
- détournement de la recherche pour répondre aux urgences sanitaires

Incidence potentielle d’un accès amélioré aux traitements pour les patients atteints de cancer du sang
Les patients cancéreux sont engagés dans une course contre la maladie, et toute perturbation ou tout retard affectant leur prise en charge a souvent de graves conséquences. Plus particulièrement, les patients atteints de cancer du sang sont, en cette ère postpandémique, exposés à un risque accru en raison des complexités entourant la maladie.
Dans notre rapport Demain ne peut attendre : La valeur des traitements novateurs contre le cancer pour les Canadiens, publié en 2022, nous avons examiné les répercussions potentielles sur les plans économique et sociétal des traitements récemment développés ou appliqués dans la lutte contre plusieurs types de cancer.
S’appuyant sur ces résultats, notre étude approfondit l’examen des effets potentiels (des points de vue clinique et économique) des traitements récemment développés ou appliqués pour lutter contre le myélome multiple (MM), le lymphome hodgkinien (LH) et quatre sous-types de lymphome non hodgkinien (LNH), en réponse à l’accroissement de la mortalité attribuable aux retards dans le traitement du cancer causés par la pandémie. Chacun de ces cancers du sang présente une pathobiologie, une épidémiologie, un traitement et une survie qui lui sont propres. Ces facteurs ont été pris en considération dans la modélisation clinique et économique que nous avons réalisée.
Fardeau clinique et économique de la pandémie sur les patients atteints de cancer du sang
Dans une étude de 2022 sur les répercussions à long terme des retards de prise en charge du cancer au Canada, les chercheurs ont estimé que, d’ici 2030, la pandémie se traduira par une perte totale de 30 148 années de vie due aux perturbations dans les soins aux patients atteints d’un LH, d’un LNH ou d’un MM causées par la COVID-191. Ces coûts découlent d’un accroissement relatif attendu de 5 % de la mortalité due au LH, d’un accroissement relatif de 3 % de la mortalité due au LNH et d’une hausse de 1,6 % de la mortalité chez les personnes atteintes d’un MM2.
Ces augmentations sont principalement attribuables à la diminution de la capacité de diagnostic et de traitement engendrée par la pandémie à partir de 20213.
Des répercussions économiques importantes sur le patient, sa famille et les personnes soignantes hors famille s’ajoutent à ce fardeau accru qui pèse sur la santé et la survie des patients cancéreux. Selon une étude canadienne récente, en 2021, le MM, le LH et le LNH occasionnaient, ensemble, les coûts suivants pour la société4 :
- 1,579 milliard de dollars en coûts directs pour le système de soins de santé (p. ex. services assurés dans les hôpitaux et par les médecins, ainsi que certains médicaments sur ordonnance);
- 197 millions de dollars en coûts directs à la charge des patients (p. ex. médicaments/suppléments, soins à domicile, équipement et toutes les autres dépenses engagées par le patient);
- 130 millions de dollars en coûts directs en temps pour les patients (p. ex. temps passé à se déplacer pour obtenir des soins, à attendre des soins et à recevoir des soins);
- 166 millions de dollars en coûts indirects pour les patients (p. ex. perte de revenu d’emploi).
- Malagón et coll., « Predicted Long-Term Impact of COVID-19 Pandemic-Related Care Delays on Cancer Mortality in Canada ».
- Malagón et coll.
- Malagón et coll.
- Garaszczuk et coll., « The Economic Burden of Cancer in Canada from a Societal Perspective ».

Quantifier les avantages d’un accès amélioré
Nous avons observé que l’avantage procuré aux patients et à la société par l’accès amélioré aux neuf traitements récemment développés ou appliqués qui sont indiqués dans la lutte contre le myélome multiple (MM), le lymphome hodgkinien (LH) et le lymphome non hodgkinien (LNH) (voir le tableau 1) est substantiel.
Tableau 1
Traitements inclus dans les modèles clinique et économique
| Nom du traitement – générique (marque) | Type de cancer (sous-type) | Indication | Source |
|---|---|---|---|
| Pembrolizumab (Keytruda®) | Lymphome de Hodgkin (lymphome de Hodgkin classique) | En monothérapie, dans le traitement des patients adultes et des enfants atteints d’un lymphome de Hodgkin classique (LHc) récidivant ou réfractaire dont la greffe autologue de cellules souches (GASC) a échoué, ou qui ne sont pas candidats à une chimiothérapie de rattrapage à agents multiples ni à une GACS | Agence des médicaments du Canada, « Recommandation finale du Comité d’experts en examen du PPEA (CEEP) – Pembrolizumab (Keytruda) pour le lymphome de Hodgkin classique » |
| Sélinexor (Xpovio®) | Myélome multiple | En combinaison avec le bortézomib (V) et la dexaméthasone (d) dans le traitement des patients adultes atteints de myélome multiple (MM) ayant reçu au moins un traitement antérieur | Agence des médicaments du Canada, « Recommandation finale du Comité d’experts en examen du PPEA (CEEP) – Sélinexor » |
| Isatuximab (Sarclisa®) |
Myélome multiple | En combinaison avec le carfilzomib et la dexaméthasone dans le traitement des patients adultes atteints de myélome multiple récidivant ou réfractaire qui ont reçu entre un et trois traitements antérieurs | Agence des médicaments du Canada, « Recommandation finale du Comité d’experts en examen du PPEA (CEEP) – Isatuximab » |
| Daratumumab (Darzalex®) |
Myélome multiple | En combinaison avec le lénalidomide et la dexaméthasone dans le traitement des patients atteints d’un myélome multiple nouvellement diagnostiqué et qui ne sont pas admissibles à une greffe autologue de cellules souches | Agence des médicaments du Canada, « Recommandation finale du Comité d’experts en examen du PPEA (CEEP) – Daratumumab (Darzalex) pour le myélome multiple » |
| Axicabtagène ciloleucel (Yescarta®) | Lymphome non hodgkinien (LDGCB) | Dans le traitement des patients adultes atteints d’un lymphome diffus à grandes cellules B (LDGCB) ou d’un lymphome à cellules B de haut grade (LCBHG) réfractaire à l’immunochimiothérapie de première intention ou qui récidive au cours des 12 mois suivants ce traitement | Agence des médicaments du Canada, « Recommandation finale du Comité d’experts en examen du PPEA (CEEP) – Axicabtagène ciloleucel » |
| Polatuzumab védotine (Polivy®) |
Lymphome non hodgkinien (LDGCB) | Le polatuzumab védotine, en combinaison avec la bendamustine et le rituximab, est indiqué dans le traitement des patients adultes atteints d’un lymphome diffus à grandes cellules B récidivant ou réfractaire, sans autre précision, qui ne sont pas admissibles à une greffe autologue de cellules souches et qui ont reçu au moins un traitement antérieur | Agence des médicaments du Canada « Recommandation finale du Comité d’experts en examen du PPEA (CEEP) – Polatuzumab védotine (Polivy) pour le LDGCB » |
| Brentuximab védotine (Adcetris®) |
Lymphome non hodgkinien (LAGCcp) | Dans le traitement du LAGCcp ou du MF exprimant CD30 chez le patient ayant déjà reçu un traitement systémique. | Agence des médicaments du Canada, « Recommandation finale du Comité d’experts en examen du PPEA (CEEP) – Brentuximab védotine (Adcetris) dans le traitement du lymphome anaplasique à grandes cellules cutané primitif ou du mycosis fongoïde exprimant CD30 » |
| Pralatrexate (Folotyn®) |
Lymphome non hodgkinien (LTP) | Dans le traitement des patients atteints de LTP récidivant ou réfractaire | Agence des médicaments du Canada, « Recommandation finale du Comité d’experts en examen du PPEA (CEEP) – Le pralatrexate (Folotyn) dans le traitement du lymphome T périphérique » |
| Brentuximab védotine (Adcetris®) | Lymphome non hodgkinien (LAGC, LTP) | Dans le traitement de patients adultes non préalablement traités atteints de lymphome systémique anaplasique à grandes cellules (sALCL), de lymphome périphérique à cellules T – sans autre précision (LTP-SAP) ou de lymphome T angio-immunoblastique (LTAI) dont les tumeurs expriment le CD30, en combinaison avec le cyclophosphamide, la doxorubicine et la prednisone (CHP) | Agence des médicaments du Canada, « Recommandation finale du Comité d’experts du PPEA (CEEP) – Brentuximab védotine (Adcetris) dans le traitement du lymphome T périphérique » |
Source : Le Conference Board du Canada.
Un meilleur accès à six de ces traitements (à l’exclusion du sélinexor et de l’isatuximab) pourrait éviter aux patients de perdre jusqu’à 37 770 années de vie et ajouter 596,5 millions de dollars en contributions économiques potentielles à la société.
L’incidence potentielle du sélinexor et de l’isatuximab variait selon qu’il s’agissait d’une cohorte ayant subi une greffe autologue de cellules souches (avec GACS) (de 15 259 à 22 525 années de vie, de 296 à 437 millions de dollars) ou pas (sans GACS) (de 8 710 à 19 618 années de vie, de 169 à 381 millions de dollars), ou d’un traitement de deuxième, troisième ou quatrième intention. Les répercussions cliniques et économiques les plus importantes ont été observées dans les traitements antérieurs, étant donné que l’exposition de la population y est plus grande et qu’il n’y a pas d’attrition cumulée. En outre, les modèles avec GACS avaient une incidence plus marquée que les modèles sans GACS en raison de la réponse plus profonde et des périodes de rémission plus longues qu’offre une greffe.

Afin d’établir une liste des traitement approuvés récemment, nous avons consulté les Rapports d’examen en vue du remboursement de l’Agence des médicaments du Canada (AMC) (anciennement l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé) et le projet Orbis pour les cinq dernières années1. Nous avons ensuite évalué la liste à la lumière de nos critères d’inclusion et obtenu ainsi neuf traitements se prêtant à une modélisation. De ce nombre, un est indiqué dans le traitement du LH, trois dans celui du MM et cinq dans celui du LNH (voir le tableau 2).
Tableau 2
Résumé des résultats de la modélisation clinique et économique pour les nouveaux traitements pour la période entre 2024 et 2030
| Traitements | Type de cancer (sous-type) | Valeur clinique potentielle* (années de vie gagnées) |
Valeur économique potentielle* (perte de production évitée) |
|---|---|---|---|
| Pembrolizumab (Keytruda®) | LHc | 1 308 | 24 846 731 $ |
| Sélinexor (Xpovio®) et isatuximab (Sarclisa®) – Traitement de deuxième intention (GACS | MM | 22 525 | 437 458 917 $ |
| Sélinexor (Xpovio®) et isatuximab (Sarclisa®) – Traitement de troisième intention (GACS) | MM | 19 822 | 384 963 847 $ |
| Sélinexor (Xpovio®) et isatuximab (Sarclisa®) – Traitement de quatrième intention (GACS) | MM | 15 259 | 296 343 137 $ |
| Sélinexor (Xpovio®) et isatuximab (Sarclisa®) – Traitement de deuxième intention (sans GACS) | MM | 19 618 | 381 012 605 $ |
| Sélinexor (Xpovio®) et isatuximab (Sarclisa®) – Traitement de troisième intention (sans GACS) | MM | 14 517 | 281 949 328 $ |
| Sélinexor (Xpovio®) et isatuximab (Sarclisa®) – Traitement de quatrième intention (sans GACS) | MM | 8 710 | 169 150 781 $ |
| Daratumumab (Darzalex®) | MM | 34 442 | 463 871 289 $ |
| Axicabtagène ciloleucel (Yescarta®) | LNH (LDGCB) | 883 | 51 07 662 $ |
| Polatuzumab védotine (Polivy®) | LNH (LDGCB) | 630 | 31 976 712 $ |
| Brentuximab védotine (Adcetris®) | LNH (LAGCcp) | 185 | 7 408 778 $ |
| Pralatrexate (Folotyn®) | LNH (LTP) | 15 | 1 218 165 $ |
| Brentuximab védotine (Adcetris®) | LNH (LAGC) | 170 | 10 568 644 $ |
| Brentuximab védotine (Adcetris®) | LNH (LTP) | 137 | 5 520 259 $ |
Source : Le Conference Board du Canada.
(Pour une explication plus détaillée de nos intrants de modélisation, ainsi que de notre approche et de ses limites, voir la Méthodologie.)
Modèle clinique (années de vie gagnées)
Les avantages cliniques de l’accès amélioré aux traitements contre le MM, le LH et le LNH ont été calculés en multipliant le nombre de cas par la survie sans progression aux traitements récemment développés ou appliqués, par groupe d’âge. Nous avons procédé au même calcul en nous servant des données du traitement de référence actuel ou du comparateur figurant dans les Rapports d’examen en vue du remboursement de l’AMC. Nous avons ensuite soustrait les années de vie gagnées associées au comparateur disponible sur le marché ou au traitement de référence actuel pour obtenir la valeur des années de vie gagnées grâce au traitement récemment développé ou appliqué. (Voir le graphique 1 de la Méthodologie pour une comparaison entre le traitement de référence/comparateur actuel et le traitement récemment développé ou appliqué.)
Modèle économique (contribution à la société)
Pour chaque groupe d’âge, le nombre total d’années de vie gagnées grâce au traitement récemment développé ou appliqué, tiré du modèle clinique, a été multiplié par le taux du revenu total moyen et le revenu total annuel médian, afin d’établir la valeur de la contribution à la société.
Notre modèle illustre les retombées cliniques et économiques potentielles des traitements en partant du principe que les patients atteints d’un MM, d’un LH ou d’un LNH bénéficient d’un accès universel à ces traitements. Nous sommes conscients, toutefois, que l’accès actuel est plus complexe et dépend de différents facteurs nationaux et provinciaux.
- Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé, « Rapports d’examen en vue du remboursement ».

Afin de mieux comprendre les entraves à l’accès, nous avons interrogé des médecins spécialisés en hémato-oncologie et des experts des domaines de la médecine, de la pharmacie et de la défense des droits des patients, afin de cerner les principaux facteurs auxquels est assujetti l’accès à ces traitements.
Améliorer l’approbation des traitements au profit des Canadiens
La simplification du processus d’approbation des médicaments améliorera l’accès aux traitements récemment développés ou appliqués pour lutter contre le cancer du sang. Plus précisément, les experts ont mentionné, entre autres secteurs d’intervention, les retards à combler au chapitre de l’approbation et du financement (p. ex. les délais d’approbation des remboursements, les délais d’accès des patients aux traitements) pour contrer les effets de la petite taille du marché canadien, facteur important lorsque les fabricants s’interrogent sur l’opportunité de mettre en marché ou pas de nouveaux médicaments au Canada.
Les experts recommandent que les responsables des politiques se concentrent sur les façons d’accélérer les procédures dans la filière de l’approbation, notamment les évaluations antérieures à la commercialisation. Quand d’autres grands marchés ont déjà évalué minutieusement les études préalables à la mise en marché, cette étape allonge la durée de l’évaluation thérapeutique, puise dans un réservoir de ressources déjà restreintes et retarde l’accès des patients, sans guère apporter de valeur supplémentaire. Bien que l’on s’attache à atténuer les aspects répétés de cet exercice (le projet Orbis, lancé en 2019, étant un bon exemple), des mesures supplémentaires pourraient simplifier davantage le processus d’examen.
À l’échelle provinciale, les évaluations et les politiques d’établissement des prix ont aussi une incidence importante sur les décisions de mise en marché et les retards au niveau de l’accès. Les experts ont souligné que lorsque les provinces tiennent des négociations supplémentaires sur les prix dans la foulée d’une négociation avec l’Alliance pharmaceutique pancanadienne (APP), cela retarde l’arrivée sur le marché des traitements. Cette situation, conjuguée à la décision de certaines provinces de ne pas participer aux négociations de l’APP et de ne pas inscrire un médicament à sa liste, engendre de l’iniquité dans l’accès aux traitements et fait que des traitements sont remboursés dans certains endroits seulement.
En outre, les experts ont noté que, si un médicament est approuvé et remboursé, des critères de recommandation rigides privent les médecins de l’utilisation remboursée du traitement au-delà de l’indication thérapeutique recommandée dans la liste, même si ce traitement est approuvé pour d’autres régimes de traitement par d’autres administrations responsables des soins de santé (p. ex. aux États-Unis).
Bien que cette restriction vise à renforcer les recommandations relatives à la sécurité des patients, il reste que les patients pourraient avoir accès à des possibilités de traitement supplémentaires si la présentation et l’examen des médicaments se faisaient davantage de façon simultanée.

Une fois les traitements approuvés, les patients en zone rurale font face à de nouveaux obstacles
En raison de la vaste étendue géographique du Canada et de sa population répartie inégalement, les habitants des régions rurales ne bénéficient pas du même accès aux traitements récemment développés ou appliqués que ceux des régions urbaines. Les Canadiens en zone rurale sont susceptibles d’être confrontés à des défis en matière de soins primaires (p. ex. accès, connaissances des traitements) et de devoir parcourir de longues distances pour consulter un spécialiste et recevoir des soins, ainsi que d’avoir à engager des frais que leurs concitoyens en milieu urbain n’ont pas à assumer.
Les déplacements (parfois sur de longues distances) pour se rendre dans un centre de traitement du cancer accroissent les contraintes temporelles et financières (p. ex. l’hébergement, les déplacements, les repas, les absences du travail) qui s’exercent sur les patients des régions rurales et leur famille. De plus, les essais cliniques et l’administration de traitements complexes risquent de ne pas être disponibles dans les centres de soins de moindre envergure, ce qui réduit l’accès à des traitements qui pourraient sauver des vies.
S’ajoute à cela la pénurie de médecins de première ligne avec laquelle la population canadienne doit composer, surtout en zone rurale, ce qui peut avoir une incidence sur le dépistage du cancer, le suivi post-traitement et le résultat de l’interaction en soins actifs au stade avancé de la maladie.
Les experts que nous avons interrogés voient en l’utilisation accrue des technologies de santé numérique (télémédecine, soins à distance) dans les établissements de soins de santé en zone rurale une solution potentielle à ces difficultés d’accès et problèmes liés à l’éloignement géographique. Ces outils numériques peuvent également améliorer la communication et la planification des soins pour les patients cancéreux.
En accélérant l’approbation des nouveaux médicaments qui peuvent être administrés efficacement dans le cadre de programmes communautaires de lutte contre le cancer, et en facilitant l’accès à ceux-ci, on améliorerait aussi les résultats pour les personnes qui ne peuvent ou ne veulent pas recevoir de traitements plus complexes dans de grands instituts universitaires en milieu urbain.
Enfin, diminuer le fardeau financier associé aux déplacements requis pour recevoir un traitement en augmentant les possibilités d’hébergement des patients à proximité des grands centres de traitement du cancer pourrait offrir une solution au problème d’accès aux traitements, lorsque ceux-ci ne sont pas disponibles dans les plus petits centres.
Les capacités de soins du cancer au Canada nécessitent une attention immédiate

Investir dans les centres de traitement du cancer au Canada peut également aider à résoudre le problème du manque de ressources, lequel limite la capacité des établissements de soins contre le cancer, la capacité des médecins et du personnel, et la capacité en soins de santé requises pour administrer ces traitements novateurs.
Capacité des centres de traitement
Le lancement d’essais cliniques au Canada passe par un processus rigoureux qui exige du temps et des ressources. Les instituts universitaires et les grands centres de traitement du cancer l’emportent haut la main sur les plus petits centres pour ce qui est de la capacité et des ressources nécessaires pour faciliter les essais cliniques de traitements nouveaux ou appliqués.
En outre, les modalités de traitement complexes, par exemple la thérapie cellulaire pour combattre le cancer du sang, doivent être soumises à une accréditation avant d’être appliquées, ce qui peut limiter le nombre d’établissements de soins capables de répondre à ces exigences spécialisées (quantités minimales à administrer, besoins de formation/connaissances spécialisées).
Si l’on veut accroître la capacité des centres de traitement du cancer de moindre envergure afin d’élargir l’éventail des traitements novateurs qu’ils peuvent administrer, il faudra investir à la fois dans les ressources humaines et les ressources matérielles.

Capacité des médecins et du personnel
Avant que l’Agence des médicaments du Canada (AMC) ne recommande un traitement, les programmes provinciaux de médicaments anticancéreux doivent se préparer aux régimes à venir, ce qui peut inclure l’examen des indications et des essais cliniques, la rédaction de nouvelles ordonnances ou la mise à jour d’ordonnances existantes, et l’élaboration de critères d’inclusion et d’exclusion de la population.
Ce fardeau administratif demeure après l’approbation du traitement, dans la mesure où le personnel affecté au traitement au lieu d’intervention doit alors recevoir une formation sur la manière d’administrer le nouveau traitement. De l’avis des experts, cela peut retarder l’accès aux traitements, en particulier dans les centres de traitement très fréquentés, où le manque de ressources humaines fait qu’il est difficile de répondre aux besoins des patients.
L’augmentation du nombre de nouveaux outils de traitement fournit un prétexte à l’élargissement du rôle d’autres professionnels de la santé affectés à la lutte contre le cancer. Dans un rapport de synthèse de 2023 qui recensait des modèles et des méthodes pour accroître le rôle des pharmaciens au Canada, le McMaster Health Forum soulignait que les pharmaciens pouvaient offrir des consultations et renseigner les patients; appuyer la prise de décisions, la prestation de conseils et les consultations avec d’autres fournisseurs en tant que membres d’une équipe d’oncologie élargie; ainsi qu’assurer un soutien administratif et clinique en appui aux fournisseurs de soins en oncologie1.
Il pourrait être utile également d’élargir les essais cliniques et la participation à un programme d’accès pour des raisons humanitaires, afin de permettre l’adoption progressive de traitements récemment développés ou appliqués. Les établissements en mesure de faciliter l’administration de traitements à un stade précoce seraient probablement mieux équipés pour le faire si ces traitements venaient à être remboursés.
En ce qui concerne les petits centres qui n’ont pas forcément la capacité de mener de tels essais, les experts ont recommandé un soutien administratif accru de la part des autorités sanitaires provinciales afin d’instaurer ou d’accroître la participation aux essais.

Capacité en soins de santé
Les ressources actuelles en santé n’évoluent pas au diapason des changements démographiques ni des besoins thérapeutiques de la population. Alors que les progrès qu’ont connus les traitements anticancéreux permettent aux patients de vivre plus longtemps, et que les patients plus âgés reçoivent des soins à un stade plus vulnérable, la pression sur le système de soins de santé s’accroît.
Les traitements récemment développés ou appliqués sont onéreux et nécessitent souvent beaucoup de ressources, ce qui peut réduire la capacité du système, en particulier pour les membres d’une équipe de soins du cancer qui ne sont pas des médecins (par exemple, les infirmières en oncologie, les pharmaciens). Les experts ont suggéré que les ressources de santé augmentent en fonction des besoins de la population grâce à l’agrandissement des centres de traitement et l’harmonisation des considérations budgétaires avec les approches et les coûts des soins modernes.
- McMaster Health Forum, « Identifying models and approaches to enhance the role of pharmacists in cancer care ».

Exploration de la valeur
L’universalité, principe sur lequel repose le système de soins de santé canadien, ne parvient pas à répondre aux besoins des patients atteints de cancer du sang. L’accès à des traitements récemment développés ou appliqués pour le myélome multiple (MM), le lymphome hodgkinien (LH) et le lymphome non hodgkinien (LNH) permettrait d’éviter la perte d’au moins 46 480 années de vie et de favoriser le recouvrement de 765,7 millions de dollars en contributions économiques à la société d’ici 2030. L’exploration et la hiérarchisation des changements pratiques pour éliminer les obstacles et les facteurs favorables à l’accès aux traitements novateurs peuvent contribuer à générer de la valeur pour le système, les praticiens et les patients.
L’appréciation de la valeur à tirer de différents niveaux d’accès aux traitements récemment développés ou appliqués dépasse la portée de notre modèle. Bien que notre approche offre un aperçu des résultats cliniques et économiques dans le cadre d’un scénario idéalisé d’accès universel, la réalité est beaucoup plus complexe. Cette complexité s’étend à tous les niveaux des soins de santé : système, cliniciens et patients.

Au niveau du système
Au niveau du système, ce qui revêt de la valeur pour les décideurs, c’est la mise en œuvre de traitements rentables, et cela nécessite de placer au centre de leur attention le budget et les coûts associés à l’offre et au remboursement des traitements novateurs. Cette orientation peut restreindre l’accès à certains régimes médicamenteux en raison des contraintes financières.
Au niveau du patient
Pour le patient, la valeur se trouve dans la satisfaction de ses besoins thérapeutiques, l’amélioration de sa qualité de vie et la minimisation de ses dépenses personnelles. De l’avis des experts, à mesure que le coût et les besoins en ressources liés aux soins augmentent, il est crucial pour les médecins et les patients d’aligner leurs attentes sur les réalités du traitement. Certes, une amélioration des perspectives de survie sans progression peut constituer un résultat positif, mais cela ne s’accompagne pas forcément d’améliorations de la qualité de vie ou de l’état fonctionnel.
Au niveau des cliniciens
Pour les cliniciens, la valeur pourrait se traduire par une augmentation de la survie sans progression, de la survie globale ou de la satisfaction des patients à l’égard de leur parcours de soins. Les experts que nous avons interrogés, toutefois, ont fait ressortir le fait que les patients ont souvent des attentes plus fortes quant à la capacité d’un nouveau traitement à améliorer leur état, ce qui peut conduire à des perceptions irréalistes de l’accessibilité et des résultats des traitements.
